Compte-rendu du Bar des Sciences du 30 mars 2010
« Oiseaux de mauvais augure et changement climatique »
Soirée organisée par : le « Pavillon des Sciences » et la Communauté d’Agglomération du Pays de Montbéliard et animée avec dynamisme par Pascal REMOND.
Lieu - Horaire : Bar de l’Hotel Bristol – 2, Rue Velotte - 25200 MONTBELIARD – ce mardi 30 mars 2010- de 20h00 à 22h15
Participation : très bonne, le bar était archi-plein, plus de 100 personnes étaient présentes.
Participant URIS FC : Jean-Pierre BULLIARD (INSA) – Jo CAVALLIN (AM) - Aline GRIVEY (EN) et d’autres non identifiés.
Intervenants :
- Romain JULLIARD, enseignant-chercheur, recensement des espèces et analyse du comportement de la biodiversité en France. Muséum National d’Histoire Naturel de Paris.
- Arnaud MOULY, enseignant-chercheur, laboratoire Chrono-Environnement, Université de Franche-Comté.
- Thierry MADVESI, responsable de la galerie d’histoire naturelle au Musée Cuvier de Montbéliard.
- Bernard BINETRUY, Office National des Forêts.
- Claude NARDIN et Dominique DELFINO, photographes.
- Georges LIGNIER, Ligue de Protection des Oiseaux.
- Vincent ROUIRE, Directeur de la « Maison de l’Environnement » au bord de l’étang du Malsaucy dans le Territoire de Belfort : il est présent avec sa caméra et filme la soirée pour présenter ce sujet lors de son exposition sur la biodiversité (prévue dans la semaine prochaine du 8 avril 2010)
Contexte de cette soirée :
- Et si les oiseaux venaient à disparaître ?
- La situation des oiseaux se détériore.
Selon une récente étude entre 6 et 14% des espèces d’oiseaux présentes sur la planète pourraient avoir disparu dans cent ans, soit entre 700 et 2500 espèces. L’étude confirme ainsi les prédictions de l'IUCN qui comptabilisait dans son dernier recensement 12% d’espèces d’oiseaux déjà menacées d’extinction. Les oiseaux spécifiques d’un habitat ou d’une ressource alimentaire sont les plus à risque car ils sont plus tributaires des modifications de leur environnement. La France compte 71 espèces sur la liste rouge de l’IUCN, soit 6% des espèces menacées dans le monde.
Les raisons sont multiples : intensification de l'agriculture, pollution, réchauffement climatique, perte de leur habitat, surexploitation, introduction d’espèces exotiques envahissantes.
Les oiseaux sont-ils de mauvais augure ?
"Corbeau 12" a un message pour nous : l’érosion de la biodiversité s’accélère, c’est un fait. Pourtant, préserver la biodiversité, c’est préserver ce qui nous apporte nourriture, santé, sources d’énergie… L’érosion de la biodiversité a des conséquences économiques. Listons ! Outre la fourniture de biens irremplaçables et indispensables à notre survie (nourriture, oxygène, matières premières…), des espèces (insectes, chauves-souris, oiseaux…) assurent la pollinisation des végétaux (sans pollinisation, nos fruits et légumes disparaîtront des étalages) et les milieux naturels contribuent à une épuration naturelle de l’eau, à la prévention des inondations, à la structuration des paysages et à l’amélioration de notre cadre de vie…
Plus de peur que de mal ? Ce sont nos enfants et nos petits enfants qui le diront mais peut-être trop tard !
Déroulement de la soirée :
La soirée commence par une discussion sur la biodiversité.
La biodiversité : on la voit, elle nous entoure. Ce terme est récent (une vingtaine d’années). Est-ce politique ? Est-ce scientifique ? Le terme vient de « bio » = vivant et de « diversité » = variation. La biodiversité est donc les variations du vivant. Elle atteste de la diversité biologique qui nous entoure, de ce que l’on est, de ce qui nous dérange vraiment. Elle est à l’intérieur de nous, autour de nous, dans les interactions des êtres vivants à deux niveaux : à l’échelle individuelle et à l’échelle interindividuelle (entre les individus). La biodiversité remplace tout simplement le mot « la nature » que l’on employait dans le même sens autrefois. Elle est notre rapport personnel avec la nature. Cette année 2010 est l’année internationale de la biodiversité, on la mesure par la crise d’extinction des espèces, qui disparaissent de façon irréversible. Les transformations majeures sont liées à notre appropriation de l’espace sur terre et de ce que la nature produit. C’est aussi tous les services rendus par la nature sans que l’on s’en rende compte (par exemple le rôle joué par le transport du pollen d’une fleur à l’autre : la fertilisation des cerisiers et des plantes, autre exemple : la participation des forêts au cycle du carbone). Cette biodiversité est liée à l’homme, à ce que l’homme peut en tirer (des services directs et indirects), on parle aussi de « valeur patrimoniale ». Il faut préserver la biodiversité, car c’est un système complexe, souvent mal connu, il faut essayer de prévoi le futur. L’évolution d’une espèce est très logue, elle prend souvent des millénaires. Les pertes d’une espèce sont très longues à combler. Les premiers savants à observer la biodiversité sont les Grecs (Aristote), entre les Grecs et le 17ème siècle, il y eut peu de choses faites dans ce domaine. Au 16ème siècle, on se borne à observer le monde vivant, on met fin aux légendes (ex : celle des cyclopes). Au 18ème siècle, on s’est intéressé au catalogue de la biodiversité (Système de Linné, Georges CUVIER…). BUFFON fait partie des bio-observateurs.
Les microorganismes, les virus font-ils partie de la biodiversité ? Les virus contiennent, en effet, un morceau de génome et ont besoin d’autres organismes vivants pour se reproduire. Mais on a du mal à les classer comme organismes vivants. Cependant, la place des virus a été trop minimisée au cours du temps. On baigne en fait dans un véritable océan de virus. Tous ne sont pas nocifs.
Et les oiseaux ? Au muséum, on les étudie depuis longtemps en s’appuyant sur des réseaux d’observateurs bénévoles (les bagueurs). Depuis 20 ans, on étudie la façon dont ils évoluent, quelles espèces gagnent, quelles espèces perdent face aux changements naturels et humains. Les espèces généralistes se retrouvent dans tous les types d’habitats (cas des corneilles, des étourneaux). Un participant souligne que ces espèces s’habituent de plus en plus à l’homme, telles ces corneilles qui viennent observer les gens vivre dans leur cuisine, qui se perchent sur le rebord de la fenêtre et qui finissent par manger le mastic des carreaux. Les espèces spécialistes se retrouvent dans un type d’habitat particulier (telles les perdrix, les alouettes, les linottes). Des espèces nouvelles naissent mais le processus est très long, il faut de nombreuses étapes. Exemple de naissance d’une espèce : dans les cultures de maïs, un papillon est né, dont la chenille s’est adaptée au maïs. Des espèces s’accoutument de plus en plus avec l’homme. L’aigrette est présente sur les étangs ainsi que les grands cormorans. Le héron cendré a été protégé depuis 1972. Il n’en restait plus que 3 colonies. Ce héron a recolonisé ensuite ; c’est un exemple de succès de la protection. On classe les causes de disparition d’une espèce en comptabilisant l’occupation des sols, l’agriculture couvrant 60% de la surface des sols, certaines espèces subissent de plein fouet l’extension agricole (impact des pesticides, des engrais). Les conséquences sont aussi importantes pour la flore et pour les oiseaux.
Le réchauffement climatique : on constate que les espèces nordiques sont plutôt en diminution alors que les espèces du sud sont en progression. La balance est équilibrée chez les oiseaux qui se déplacent rapidement. Les plantes sont a base de la chaîne alimentaire, elles se déplacent moins vite que les animaux. On a du mal à quantifier : on cherche les capacités d’absorption de certaines espèces. On peut quantifier le morcellement de l’habitat, on peut aussi quantifier les polluants. La répartition des végétaux renseigne sur la température et la pluviométrie.
Action de la température : les oiseaux ressentent la température comme nous. Le problème, pour eux, est de se reproduire au printemps au bon moment, quand les chenilles sont abondantes et mangent les feuilles (c’est une période très courte qui dure 15 jours). Les feuilles dépendent fortement de la température. Le mécanisme est donc indirect vis-à-vis des oiseaux. Ce n’est pas la température en soi qui leur pose problème mais la perturbation de leur horloge de reproduction.
Un participant nous informe qu’une espèce arctique a niché dans le Jura. Chaque espèce a une histoire particulière. Sur 50 espèces du sud, 30 ont plutôt tendance à remonter vers le nord et celles du nord ont tendance à descendre vers le sud. Les poissons jouent aussi une influence sur certains oiseaux qui s’en nourrissent. L’expansion de l’homme limite celle des espèces animales. Une espèce qui disparait laisse une place vide qui va profiter à d’autres espèces.
Inventaire réalisé par le Conservatoire Botanique : les 2 villes les plus riches en espèces en Franche-Comté sont Besançon et Belfort. Ceci est du à l’impact du brassage des populations. Ainsi les coccinelles asiatiques sont arrivées chez nous. La Savoureuse est classée comme réserve naturelle régionale. L’érosion des berges est un phénomène naturel, l’intervention de l’homme qui a voulu consolider ces berges, en en rectifiant les rochers, a eu un impact sur les espèces inféodées aux berges (ex, les martin-pêcheurs). Ces oiseaux ne vont plus pouvoir creuser dans ces berges artificielles et vont aller chercher ailleurs d’autres territoires. Les hirondelles de rivage sur le Doubs ont aussi disparu de cette façon ainsi que sur l’Allan à Montbéliard, lorsque son cours a été détourné. On constate en fait une stabilité du nombre des oiseaux : mais le pigeon-ramier augmente très fortement, compensant la perte des linottes et des alouettes. On trouve désormais des pigeons-ramiers en ville, en campagne et en forêt. Cette communauté fonctionne-t-elle de la même façon qu’une espèce spécialisée. On a des variations brutales d’espèces qui colonisent. La biodiversité, c’est aussi l’interaction entre les différentes espèces. Il faut préserver les habitats en eux-mêmes car chaque espèce a son importance dans son habitat.
La Ligue de Protection des Oiseaux : souligne notre besoin de connaissances t l’importance de notre connaissance « citoyenne » sur le sujet. Les pigeons comportent des familles sédentaires et des familles de grands migrateurs. On accueille chaque hiver des dizaines de millions d’oiseaux dont on ne maîtrise pas l’origine (migrateurs et sédentaires). Il y a 15 ans, 6000 pigeons ont passé l’hiver dans le sud de la Suède. Ils sont passés en Espagne, on les a canardé (les fameuses palombes). En 1950, un flux de 50 millions de pigeons sont venus du nord et sont passés en Espagne et au Portugal. Ce flux est descendu à 3 millions de nos jours. Les outils actuels (internet) permettent au béotien d’apporter sa pierre à la connaissance des oiseaux. L’impact humain fait diminuer la biodiversité. Mais on a tous conscience que la nature ne reste pas figée devant cette agression, il ya des millions de spécialisations en cours, même l’homme évolue de génération en génération. Ce qui nous occupe est la survie de l’espèce humaine, celle-ci est inféodée à la préservation de notre habitat, de nos ressources. Mais la nature nous survivra.
Dans la région de Montbéliard (du Lomont à Belfort) :
En 1965, il y avait 123 espèces d’oiseaux nicheux
En 2010, 22 espèces nicheuses ont disparu. 3 espèces ont été décimées : un busard, une perdrix, une huppe, la bergeronnette printanière. 12 espèces sont apparues : parmi elles, le faucon pèlerin, le corbeau freux, la grive (le « tia-tia » des chasseurs). Actuellement 5 espèces sont dans une situation critique : un petit héron, un petit gravelot (lié aux bandes alluvionnaires de nos rivières), la chouette chevêche, l’alouette lulu. Sont en expansion : le grand cormoran, la cigogne blanche, le goéland.
Le déplacement des espèces est vécu par les cigognes. La tourterelle turque a colonisé toute l’Europe
Les processus de déplacement sont lents. On entend de moins en moins le coucou chanter et de plus en plus tardivement. Son habitat a peu évolué. Il niche en parasite chez les petites espèces locales dont les effectifs diminuent eux-aussi. On est passé des petites exploitations agricoles entourées de haies (favorables aux oiseaux) aux grosses exploitations. On ne retrouve plus qu’un type de culture dans une grande région, le morcellement étant plus faible, cela est défavorable aux espèces d’oiseaux. On parle souvent des « belles prairies » de la Franche-Comté mais en fait, il existe peu d’espèces diverses, certaines espèces sont très localisées. La raréfaction du nombre d’individus par espèce est préoccupante (il y a moins d’individus dans une espèce donnée).
Les impacts du modernisme : la construction de l’autoroute a fait disparaître les gravelots. En Arctique, certaines espèces (des chouettes harfang) suivent la progression des petite rongeurs, les lemmings et voyagent en fonction des déplacements de ceux-ci. Le bec croisé des sapins exploite en France les cônes des épicéas. Ils se reproduisent dans l’année à des saisons très différentes dans l’année (mais ceci constitue une exception). En fonction des hivers, on peut avoir jusqu’à 95% de perte des effectifs des chouettes effraie. 5 ans après, elles se sont reconstituées (pourvu que l’on n’abuse pas de la pose des grillages). Les champs d’éolienne créent des perturbations à l’environnement : les chauves-souris perdent le sonar qui permet de les diriger et meurent hachées par les pales. Un colloque a eu lieu sur le Milan Royal. Des zones en Espagne et Europe du Nord sont de véritables hachoirs. A Montbéliard, un spécialiste a trouvé un cas de Milan Royal victime d’une implosion interne d’éolienne. Toute activité umaine mise en œuvre a un impact sur la biodiversité.
Les gestes citoyens : face à cette dégradation de la biodiversité, le citoyen doit s’informer, prendre conscience et agir déjà à son niveau :
- Le taillage des haies permet d’éviter des nuisances,
- Nourrir les pigeons est interdit et peut être verbalisé (comme a fait remarquer, avec humour, l’un des participants : « ce n’est pas normal que les poulets se mettent à attaquer les pigeons ! »)
- La modification des ligneux a aussi un impact : en quelques années, on est passé de 8 kg de vers de terre à l’hectare à 800 kg à l’hectare.
- Il faut passer l’information la plus complète car nous sommes pluri-acteurs de la biodiversité,
- Organisons des débats de société pour tenter d’influer sur les décideurs (le débat actuel sur le climat est très intéressant),
- Le choix de société est un débat important,
- Laissons les choses continuer à évoluer : ainsi, la question de la perte de la biodiversité n’est plus à démontrer, désormais on s’interroge sur les causes de cette perte, on les modélise, on détermine mieux les moments de fauche des prairies. Tout le monde peut participer à cette démarche. Le citoyen peut donner des informations sur les oiseaux qu’il rencontre dans son jardin ou dans la nature.
- L’agriculture intensive est le facteur le plus important de la dégradation de la biomasse.
- Il existe une prise de conscience actuelle : des dossiers sur la biodiversité ont été constitué à l’occasion de l’aménagement de Technoland 2 Montbéliard (on a ainsi positionné des couloirs écologiques).
- On a besoin de travailler ensemble : les associations écologiques avec les élus.
Conclusions :
Il semble que le productivisme à tout prix soit antinomique avec la biodiversité.
Les intervenants ont eu conscience que, ce soir, nous avons abordé la biodiversité avec un regard pessimiste, mais ils ont confiance en la nature qui nous réserve toujours de belles surprises. L’homme est souvent promoteur de biodiversité (agro-systèmes, les pâturages sont diversifiés et liés à l’activité bétaillère). En Europe, la biodiversité a doublé depuis la période néolithique. On a tendance à vouloir être responsable de tout et à agir sur tout. Mais la nature fait son chemin, il faut la laisser faire tout en étant très attentifs.
Une composante non encore évoquée ce soir est l’histoire de la biodiversité : gérer des collections d’herbiers et d’insectes, collections très difficiles à maintenir dans le temps, est une activité très importante, il est nécessaire de valoriser ces collections dans les musées. Elles constituent un patrimoine, des réserves pou les générations futures.
Romain JULLIARD a le mot de a fin : le retour de certaines espèces est très positif. Dans la biologie de la conservation, la préservation de la nature des activités humaines constitue la prochaine étape. Il va falloir mieux concilier les activités agricoles, faire prendre en compte la biodiversité. Les choses évoluent quand même, gardons espoir !
Rédacteur : Jean-Pierre BULLIARD
Président de l’URIS de Franche-Comté
Président des Ingénieurs INSA de Franche-Comté
Pour le compte du Pavillon des Sciences
Programme des prochains « Bar des Sciences » : irlandais
Site Internet du Pavillon des Sciences : www.pavillon-sciences.com.